23.07 — 03.09.2022
Un coucher de soleil sur la mer, un horizon maritime nimbé d’une douce lumière, un ciel nuageux annonçant la tempête, une luxuriante végétation tropicale… Sommes-nous devant des images convenues, des chromos revisités ? C’est sans compter avec l’inventivité de Linda Männel, jeune artiste allemande, hybridant peinture et art textile. Elle donne ainsi une version inédite du thème du paysage récurrent dans l’histoire de l’art occidental depuis la Renaissance italienne et l’âge d’or flamand. Elle en propose une déclinaison à la fois complexe et faussement naïve.
Pour ce faire, Linda Männel reprend littéralement le fil de cet héritage. Comment ? En animant ses surfaces. Elle dessine d’abord à l’encre de chine noire diluée, directement sur la toile brute, des « vues » inspirées de vieilles photos ou de photographies prises par elle-même lors de promenades méditatives. Puis elle pose par-dessus, et sur toute la surface, de fins fils de laines diversement colorées. Séparées régulièrement les uns des autres, ils forment une trame (ou une chaine) de lignes parallèles qui créent un effet d’optique trompeur laissant croire au spectateur que le tableau est peint dans de subtiles dégradés de couleurs. Or il n’en est rien et il doit s’approcher au plus près du tableau pour découvrir le subterfuge.
En se jouant ainsi des références savantes (l’art avec un grand A) et populaires (les travaux d’aiguilles), Linda Männel convoque mille images qui ont imprimé nos rétines. Mais son mode opératoire doit-il moins aux expérimentations scientifiques des artistes de l’art optique ou de l’art cinétique qu’à sa profonde sensibilité devant la beauté du monde. Une approche de la nature qui résonne avec celle des peintres romantiques et impressionnistes, sa curieuse technique créant d’intenses vibrations : l’air palpite, l’eau frémit, les feuilles transpirent, les nuages bougent imperceptiblement.
« Mes peintures reposent-dit l’artiste- sur des situations vécues, des lieux où j’ai été, dans lesquels j’ai pu me perdre… Souvent, j’assemble différents ciels avec des paysages ou des vues de mer qui n’ont jamais existés. »
Les images de Linda Männel agissent comme autant de poèmes visuels : elles nous invitent à contempler le grand large, à traverser la jungle, à voir au-delà du cadre du tableau. Une percée mentale qui renvoie aux grands maîtres du XVIe siècle qui, déjà, cherchaient à ouvrir les fenêtres de la pensée.
Élisabeth COUTURIER, Critique d’art